'Les Talibans refusent que les femmes fassent partie de la société'

Les membres de l'Association Révolutionnaire des Femmes Afghanes (RAWA) luttent malgré de nombreux obstacles, risquant souvent leur vie pour l'établissement d'un régime démocratique, non fondamentaliste et pro-femmes en Afghanistan. Dans un entretien exclusif avec V K Shashikumar, Mehmooda de RAWA débat de la misogynie quasi pathologique des talibans et de la lutte de RAWA pour sa survie

Les droits des femmes ont régressé rapidement à un niveau sans précédent en Afghanistan sous la loi horriblement stricte des talibans. Les ravages provoqués par trois décennies de conflit permanent, de sécheresse et de maladie ont fait de ce peuple hardi une nation de réfugiés, de mères seules et d'orphelins. Ceux-ci constituent aujourd'hui une grande partie de la population énorme de réfugiés afghans.

Les femmes et les enfants représentent la majorité des 170 000 réfugiés estimés qui se sont entassés dans des camps sous-équipés et surpeuplés au Pakistan voisin, depuis septembre dernier. RAWA, basée à Quetta, a été aux avant-postes du mouvement féministe en Afghanistan. Elle se qualifie d'unique association féministe anti-fondamentaliste de femmes afghanes".

Mehmooda cite les raisons de cette misogynie quasi pathologique qui accompagne la plupart des actions des talibans. "La plupart des cadres talibans ont été victimes d'abus sexuels par leurs maîtres pendant leur éducation religieuse (dans les madrasas). Cela a pu créé un complexe qui les a rendus bestiaux envers les femmes. Il faut savoir que ces “Champions de l'Islam” ont l'habitude de violer les enfants pour satisfaire leurs pulsions sexuelles."

Dans quelles conditions les femmes et les enfants vivent-ils aujourd'hui en Afghanistan ?

La vie des femmes sous le régime fondamentaliste des talibans est terrible. Les talibans refusent que les femmes fassent partie de la société. L'Afghanistan est maintenant un pays fantôme, en raison des luttes et du taux croissant de la criminalité, les femmes ne sont plus que des zombies. On leur interdit tout accès aux soins médicaux, toute éducation et toute distraction. On les fouette dans la rue pour les motifs les plus incongrus et on leur coupe les mains et les pieds si elles volent du pain.

Les extrémistes ont formé un état où les femmes sont considérées comme des sous-êtres, dont le rôle se borne à satisfaire les besoins sexuels des hommes, à procréer et à s'occuper des tâches domestiques. Les femmes sont privées de toute éducation, du droit de travailler et de sortir sans être accompagnées par un homme (souvent un parent proche). Aucune femme ne peut être soignée ou opérée par un médecin homme. On les oblige à enfiler ces sacs qu'on appelle des burqas, dans des teintes pâles uniquement, pour recouvrir entièrement leur corps. Ni leurs chevilles, ni leurs poignets ne doivent être visibles. Aucun maquillage, talons qui font du bruit, chant ou rire n'est toléré. Ces restrictions sont imposées car les femmes sont considérées comme des tentatrices qui détournent les hommes de leur devoir spirituel. Dans une interprétation fausse de l'Islam, même les fenêtres de toutes les maisons ont été peintes pour rendre les femmes invisibles de l'extérieur. Il est interdit de photographier, de filmer, ou d'imprimer des clichés de femmes dans la presse. Ceci n'est qu'un bref résumé des interdictions imposées par les despotes talibans.

On tue les femmes et les filles pour des questions d'honneur, on les vend comme du bétail, on les oblige à se marier, on les laisse mourir sans leur apporter un minimum de soins sanitaires, on les condamne à une vie d'humiliation, de servitude, d'ignorance et de misère. Leurs potentiels dépérissent dans cet Etat lugubre. En vérité, au lieu de créer un Etat pur et religieux, les talibans font des Afghans un peuple de mendiants.

Quelle était la vie des Afghanes avant l'arrivée des talibans au pouvoir ?

A notre avis, la différence est ténue entre la condition de la femme avant et après l'arrivée des talibans, ceci en raison de la nature fanatique et misogyne tant des moudjahidin que des talibans. Ce sont tous les ennemis des femmes, de la démocratie, de l'éducation et du progrès. Après la tragédie du 28 avril,1992, lorsque les sauvages moudjahidin perpétrèrent leur aggression sur Kaboul et sur d'autres villes, ils se sont concentrés sur le viol des femmes, des jeunes filles et des enfants. Les chefs des diverses factions belligérantes ont alors considéré le viol des femmes des populations vaincues comme une récompense pour leurs soldats "islamiques". Certains gardes armés s'en prennent aux femmes de minorités ethniques ennemies. Plusieurs Afghanes se sont suicidées après avoir été violées. Nombre d'entre elles ont été enlevées et retenues par des groupes de moudjahidin pour être vendues à des proxénètes ou servir d'objet sexuel. Les jeunes filles ont dû subir le même sort. Aucune femme et aucune fille n'était en sécurité.

Pourquoi les talibans veulent-ils supprimer et opprimer les femmes ?

Ils pensent pouvoir se débarrasser de la moitié de la population par des mauvais traitements et des intimidations. La plupart des talibans sont des analphabètes. On ne leur a pas enseigné les sciences sociales et naturelles dans les écoles religieuses. On leur a juste appris à détourner les versets du Coran pour justifier leurs atrocités. Ils sont extrêmement rétrogrades, ignorants, sauvages et complètement étrangers aux normes, valeurs et réussites de l'époque moderne.

La plupart des talibans ont été victimes d'abus sexuels par leurs maîtres pendant leur éducation religieuse. Cela a pu créé un complexe qui les a rendus bestiaux envers les femmes. Il faut ajouter que l'homosexualité est très répandue parmi ces "champions de l'Islam".

Si la religion couvre la suppression et l'oppression des femmes, l'Islam les sanctionne-t-il ?

Les criminels talibans et moudjahidin ont leur propre interprétation de l'Islam, ce qui les autorise à agir brutalement sous couvert de la religion, ce qui n'est pas sanctionnable par l'Islam.

Si l'Islam ne sanctionne pas la brutalité des talibans, pouvez-vous souligner les idées progressistes sur les femmes et leur émancipation dans l'Islam ?

La religion devrait être considérée comme une question privée et personnelle. Ceux qui cherchent à régler tous les problèmes avec la religion, surtout les problèmes sociaux complexes, ne font que détourner la religion à des fins politiques.

Bien sûr, l'Islam est plein de controverses, particulièrement en ce qui concerne les femmes. Les Musulmans n'ont pas le droit de se convertir à une autre religion. Mais, quand les fondamentalistes veulent légiférer sur ces points, ils imposent leurs lois par la force et l'épée et les gens se mettent à résister. Il faut noter que les Afghans n'ont jamais été aussi fortement désillusionnés par la religion que depuis l'arrivée au pouvoir des criminels moudjahidin puis talibans.

Les talibans attaquent violemment l'image de la femme moderne. Pour contredire les talibans, citez-moi 10 femmes qui ont marqué l'histoire récente de l'Aghanistan.

Meena, fondatrice de RAWA, est certainement la première femme en Afghanistan à avoir pris conscience de la gravité de la situtation et à s'être sacrifiée pour ses idéaux. C'est elle qui fut notre héroïne et qui nous inspire encore. A part quelques étudiantes, tuées par le régime de paille à la solde des Soviétiques, de nombreuses femmes parmi nous n'ont pas abandonné, malgré les obstacles, combattent vaillemment toutes les formes de fondamentalismes et luttent pour la démocratie.…Je suis d'avis que de nombreuses femmes ont laissé leur empreinte, même difficilement visible, sur notre histoire récente. Toutefois, elles sont encore actives et il serait dangereux de les citer.

Après tout, les hommes, quels que soient la religion, le pays et la communauté, ont toujours utilisé les écritures, les textes sacrés et les traditions pour supprimer tout pouvoir aux femmes. Pourquoi les talibans craignent-ils d'accorder leurs droits aux femmes ? Pensez-vous que les talibans ont peur que les femmes développent une conscience sociale, qu'elles combattent les maux du fondamentalisme et affectent leur pouvoir ?

C'est cela. Les talibans savent qu'en supprimant et en rendant nos femmes muettes, ils seront débarrassés de la moitié de la population. Oui, les talibans craignent que nos femmes ne prennent des initiatives miraculeuses si elles sont libres.

Il est facile de jauger la peur des femmes qu'ont les fondamentalistes par leurs attaques vulgaires et ridicules de RAWA. Ils n'ont pas d'autres arguments que de nous dire que RAWA est une association maoïste, un groupe de prostituées, une organisation anti-islamique, etc.

Ils ont déclaré tous les membres de RAWA "ennemis de l'émirat islamique" et précisé qu'ils seraient arrêtés systématiquement. Toute personne découverte avec une copie de Payam-e-Zan (Message de femmes, une publication de RAWA) sera condamnée sans autre procès, persécutée violemment et torturée.

Comment RAWA a-t-elle aidé les femmes à s'organiser en Afghanistan ?

En tant qu'organisation clandestine luttant contre le régime fondamentaliste le plus barbare du monde, RAWA se doit de promouvoir toutes ses activités pour développer la conscience politique des femmes et les organiser en secret. Même notre travail social est clandestin en Afghanistan. Mais, la plupart des femmes ayant souffert de l'oppression sanglante des moudjahidin et des talibans, elles comprennent rapidement notre message, et, malgré les conditions difficiles, elles sont prêtes à résister. Malheureusement, cette résistance est très compromise par leur situation économique désastreuse qui anéantit leur envie de lutter.

Les talibans ont appris beaucoup des expériences fascistes et criminelles du KHAD (service secret afghan sous le régime soviétique) et des moudjahidin, en ce qui concerne la suppression et le contrôle des gens. Il n'est donc pas facile de les combattre, surtout pour les femmes.

Néanmoins, nous sommes fières d'être la seule organisation féministe à ne pas avoir baissé les bras dans l'organisation de nos femmes affligées.

Quelles sont les activités de RAWA à l'intérieur et à l'extérieur de l'Afghanistan ?

Durant l'occupation soviétique, nous distribuions des prospectus antisoviétiques et contre les marionnettes au pouvoir, nous organisions des manisfestations et des grèves dans les écoles et dans les universités, en encourageant les femmes à entrer en résistance de quelque manière que ce fût, et ce, malgré l'opposition des fondamentalistes, à diriger des écoles, des hôpitaux pour les réfugiés, à publier et à distribuer Payam-e-Zan, etc.

C'est lors de ces activités que certaines de nos activistes ont été arrêtées à Kaboul et ont dû subir d'horribles tortures. Certaines sont restées emprisonnées pendant huit ans dans des prisons célèbres. La fondatrice de l'association, Meena, et ses deux assistantes furent assassinées par des agents du KHAD et par leurs complices fondamentalistes en 1987.

Suite à la chute du gouvernement de paille et à l'invasion des troupes fondamentalistes à Kaboul, RAWA s'est concentrée sur les droits des femmes, les droits de l'homme et s'est attachée à montrer du doigt les opérations barbares des fondamentalistes. (voir Activités de RAWA : le défi anti-fondamentaliste)

Comment RAWA est-elle financée ? Les Afghans expatriés font-ils des dons ?

La cotisation des membres et des sponsors en Afghanistan et à l'étranger fait partie de nos sources principales de financement. Nous vendons également des tapis et autres objets artisanaux. La vente de nos publications, cassettes, etc. nous rapporte aussi de l'argent. En bref, en tant qu'organisation privée de toute aide gouvernementale ou non (ONG), RAWA est dans une situation financière critique. Jusqu'ici, les dons sont loin de répondre aux besoins que nous avons en Afghanistan et à l'extérieur pour mener à bien nos projets d'éducation, de santé et d'insertion.

Comment RAWA arrive-t-elle à faire réagir l'opinion publique en Occident ?

Grâce à Internet, nous avons réussi à tisser un vaste réseau dans de nombreux pays occidentaux et sommes fières d'avoir des sympathisants en Amérique du Nord, en Europe et en Australie, qui contribuent largement à notre cause.

Nous nous sommes également déplacées aux USA, en Europe et en Asie du Sud pour nous faire entendre et dénoncer les crimes commis par les moudjahidin et les talibans.

Quel a été le rôle du Pakistan dans la montée des talibans ?

C'est un secret de polichinelle que les talibans sont une création du Pakistan et des USA, tout comme les moudjahidin dépendent de la Russie, des Républiques d'Asie Centrale, de l'Iran et de l'Inde. Cependant, nous nous sommes toujours attachées à exposer la nature réelle de ces bandes fondamentalistes, qui, en fait, ont convié des puissances étrangères pour interférer en leur faveur et les protéger. Lorsque Kaboul abritera un gouvernement démocratique, aucun pays n'osera plus s'immiscer.

Que pensent les Pakistanaises de la protection et de l'aide du gouvernement pakistanais aux talibans ?

Si l'on en juge aux rares contacts que nous avons, quasiment toutes les femmes sont très critiques envers l'aide du gouvernement pakistanais aux fondamentalistes d'Afghanistan.

Comment impliquez-vous les Pakistanaises dans vos programmes et activités, afin de faire pression sur le gouvernement pakistanais ?

Nous faisons de notre mieux pour rester en contact avec les organisations de femmes pakistanaises, en les invitant à nos manifestations et en participant aux leurs. Malheureusement, elles n'ont pas la possibilité de faire pression sur le gouvernement pakistanais. Elles ont elles-mêmes d'énormes problèmes. Elles sont victimes des "crimes d'honneur", tout comme les femmes indiennes sont elles tuées pour des questions de dot. Nous comprenons leurs difficultés.

Y a-t-il des personnalités pakistanaises qui soutiennent votre mouvement ?

Heureusement, plusieurs d'entre elles nous soutiennent, parmi lesquelles : Asma Jehangir, Hina Jelani, Professeur Mubarak Ali, Ahmed Bashir, Afrasiab Khattak, Marshal Asghar Khan, Syeda Abida Hussain, Mariana Babar, Neghat Said Khan, Mahnaz Rafi, et bien d'autres encore.

Malgré les restrictions des talibans, RAWA arrive encore à faire fonctionner des écoles et des boulangeries et à aider les femmes. Comment y parvenez-vous ?

En tant qu'organisation bénéficiant d'une expérience clandestine de plus de 20 ans, RAWA est à même de faire fonctionner de nombreux cours à la maison, des cours d'alphabétisation, d'avoir des équipes mobiles, des projets d'insertion, etc. en Afghanistan. Les conditions de vie sous un régime fasciste, surtout dans les deux dernières décennies, nous ont appris à vivre et à poursuivre la lutte, même sous une loi théocratique encore plus criminelle que le régime terroriste iranien par exemple.

Comment les groupes féministes indiens peuvent-ils aider RAWA ?

Avant tout, la lutte contre les forces fondamentalistes de leur propre pays serait une aide précieuse pour RAWA. Plus spécifiquement, elles devraient créer et renforcer leurs relations avec nous, inviter nos représentantes en tournée pour des discussions, parler de nos activités, écrire sur la situation horrible de notre pays, collecter des fonds et des fournitures à notre attention. Plus important encore, elles devraient faire pression sur le gouvernement indien pour qu'il revienne sur sa reconnaissance honteuse du "gouvernement" de Rabbani-Masood and Co.

Tout pays qui se prétend démocratique ne doit en aucun cas soutenir cette poignée de criminels, qui ont été à l'origine de la domination religio-fasciste qui a suivi la chutte du régime de paille.

Pouvez-vous envisager le retour un jour de la démocratie et d'un gouvernement unifié en Afghanistan ?

Il est difficile de prévoir quoi que ce soit. Toutefois, nous ne doutons aucunement que les jours des talibans sont comptés. Et si leurs maîtres étrangers n'installent pas leurs frères moudjahidin au pouvoir, l'Afghanistan n'aura d'autre recours que la démocratie.

Comment les Afghanes font parvenir le message aux talibans qu'il existe des poches de résistance de femmes courageuses qui refusent d'être réduites à un statut pire que celui "d'animal" ?

Je pense que ce message leur parvient par notre voix au Pakistan et par les médias écrits et électroniques internationaux, par Payam-e-Zan et d'autres publications, ainsi que par nos efforts de prise de conscience parmi les femmes. De même, comme je l'ai déjà souligné, les attaques sauvages et puériles de RAWA dans la presse talibane (Shariat et autres) nous prouvent qu'ils ont entendu notre message.

Que peut faire la communauté internationale pour alléger la souffrance des Afghanes ?

Elle peut faire beaucoup :

organiser des manifestations ou des marches en soutien à RAWA et en solidarité avec les femmes afghanes

organiser des rassemblements, des réunions, des séminaires, etc. pour mettre en lumière la situation des femmes afghanes sous le régime fondamentaliste

présenter RAWA et ses activités à des particuliers, des groupes, des écoles, des organisations et à tout autre groupe de personnes

convier des membres de RAWA à parler des activités de l'association, de la situation des femmes afghanes, etc.

publier nos reportages sur l'Afghanistan et les crimes des moudjahidin et des talibans ou faire en sorte que l'entourage en soit conscient

vendre nos publications (contre paiement des publications et des frais postaux) pour accroître la conscience du fléau qui s'est abattu sur les Afghanes

organiser avec des amis une collecte de fonds, de médicaments, d'articles de papeterie, d'habits, de chaussures, d'équipements médicaux, d'ordinateurs, de fax, etc. et nous les expédier pour nous soutenir dans nos activités sociales. C'est la manière la plus utile de nous aider

les gens peuvent aussi écrire à leur gouvernement en soulignant les points suivants :

• ne pas reconnaître le régime fasciste et misogyne des talibans
• s'efforcer de stopper l'ingérence des pays voisins et des Etats-Unis dans les affaires internes de l'Afghanistan
• imposer des sanctions aux pays qui soutiennent financièrement et militairement les talibans et autres groupes fondamentalistes en Afghanistan
• démarrer une campagne pour établir une paix réelle et préparer le terrain pour des élections libres en Afghanistan
• soutenir publiquement les organisations et particuliers à message démocratique, patriotique et révolutionnaire
• dénoncer les crimes des talibans au sein d'organisations internationales