LE MONDE, 15.12.2001 |
Les téméraires de RAWA poursuivent le combat
Vingt-trois ans de guerre, de troubles et, enfin, de terreur n'ont pas réussi à museler totalement les femmes de Kaboul ou de Kandahar. Mais si les intellectuelles ont choisi de se battre, à l'intérieur ou à l'extérieur, parfois au péril de leur vie, les autres demeurent prisonnières de la tradition
ELLES ne sont pas contentes, les filles de RAWA. Pas contentes du tout de l'arrangement "intérimaire" négocié ce mois-ci à Bonn sous les auspices des Nations unies. Pour les pionnières de l'Association révolutionnaire des femmes afghanes (RAWA), organisation clandestine de résistance féminine, "le retour au pouvoir des criminels de l'Alliance du Nord qui ont détruit Kaboul, violé et maltraité nos sœurs, nos mères et nos filles dans les années 1992 à 1996 est inacceptable". Elles étaient environ deux cents, le 11 décembre, dans les rues de Peshawar à le crier.
Passe encore qu'"aucune de nos associées n'ait été invitée à la table des négociations pour défendre les droits de la femme, nous dira "Shakeba", jeune militante intellectuelle qui, c'est la règle à RAWA, ne donne pas sa véritable identité. Mais inclure dans le gouvernement provisoire des femmes comme Sima Samar, ancienne membre du Hezb-e-Wahdat, l'un des partis qui s'est rendu coupable du plus grand nombre de viols en Afghanistan, et Amina Afzali, ancienne traîtresse communiste du Parcham qui a ensuite rejoint le groupe fondamentaliste du criminel professeur Rabbani, c'est vraiment trop."
Elles sont comme ça, les deux mille filles de RAWA : déterminées, courageuses, téméraires même, et souvent très "politiques". Jadis, d'aucuns les accusèrent de flirter avec le maoïsme. "Nous voulons l'égalité pour les femmes, nous voulons de vraies élections et la démocratie dans notre pays. Cela ne vous paraît pas suffisamment "révolutionnaire" pour l'Afghanistan ?", ironise Shakeba. Un journal mensuel - Payam-e-Zan, Messages de Femmes - un site Internet, vivant, visité, à jour - www.rawa.org - et surtout, des cliniques, des foyers, des ateliers d'artisanat pour que vivent les veuves de guerre, des orphelinats et des écoles - jusqu'ici clandestines en Afghanistan, plus ouvertes dans les camps de réfugiés au Pakistan et en Iran.
Fondé dès 1977 à Kaboul par Meena, une intellectuelle afghane assassinée dix ans plus tard au Pakistan, RAWA, nul ne le conteste, a fait, durant toutes ces années de guerre, un travail capital pour la cause des femmes afghanes. Armées de leur savoir, de leur courage et de petites caméras numériques cachées sous les burqas, ce sont elles qui ont filmé ces exécutions publiques au stade de Kaboul, images vues partout dans le monde. Insultées, maltraitées, menacées par les "barbus" de tout poil quand elles se montrent, les filles de RAWA ont mûri dans la clandestinité. Pour l'heure, prudentes, elles ne souhaitent pas en sortir...