L'Humanite, 26 Septembre 2001 |
Peurs et espoirs des femmes afghanes
Sahar Saba est responsable des relations extérieures de l'association révolutionnaire des femmes afghanes Rawa, l'une des seules organisations laïques et progressistes. Originaire de Jalalabad, ville proche de la frontière du Pakistan où elle est actuellement réfugiée, elle a répondu par téléphone jeudi soir aux questions de l'Humanité.
Quelle est votre réaction après la chute du régime des taliban et comment appréciez-vous la situation qui s'est créée depuis la prise de Kaboul par l'Alliance du Nord ?
Sahar Saba. La chute des taliban est évidemment un élément positif et ce n'est sûrement pas nous, les femmes, qui allons la regretter. Mais la prise de Kaboul et de plusieurs autres villes du pays par des groupes criminels n'est pas une bonne chose. Nous avons une très mauvaise expérience de ces groupes qui ont commis tant de crimes dans le passé, y compris contre les femmes, qu'il est impossible d'oublier ce qu'ils ont fait et de leur pardonner.
Vous voulez parler des forces qui se sont battues pour le pouvoir après 1991 et qui ont en partie détruit Kaboul. Est-ce les mêmes qui ont repris la capitale mardi ?
Sahar Saba. Bien sûr, ce sont les mêmes. Nous les connaissons bien. Ce sont eux aussi des intégristes, avec la même idéologie, la même conception de la société que les taliban et les mêmes façons de diriger le pays.
Pourtant, ils semblent avoir une attitude différente à l'égard des femmes. Dès la prise de Kaboul, ils ont annoncé que les filles pouvaient aller à l'école et que les femmes pouvaient travailler. Et c'est une journaliste femme qu'ils ont appelée pour annoncer le départ des taliban de Kaboul.
Sahar Saba. Je crois que cette apparence de changement est surtout destinée à rassurer les Occidentaux. En tout cas, à nos yeux, cela ne suffit pas à prouver qu'ils ont vraiment changé d'attitude à l'égard des femmes, ni qu'ils ont une autre façon de penser. Le droit au travail et celui à l'éducation font partie des droits fondamentaux de la personne humaine et c'est la moindre des choses de les respecter et de ne pas en priver la moitié de la population. Mais une chose est de les proclamer en paroles, une autre est d'en faire une réalité. Où sont les écoles pour que les filles puissent aller en classe ? Où sont les enseignantes ? Quelles familles sont en mesure d'envoyer leurs enfants à l'école ? Il ne faut pas perdre de vue l'état du pays après trente ans de guerre et cinq ans de régime taliban. C'est un pays détruit, dont la population est exilée ou errante, un pays pauvre où il faut d'abord résoudre d'énormes problèmes économiques et sociaux.
Il n'y a donc plus aucune école pour les filles dans le pays ?
Sahar Saba. Si, il y a quelques écoles tenues par des organisations non gouvernementales, ou par des associations de femmes. Mais c'est dérisoire par rapport aux besoins. Quant aux écoles publiques, il s'agit uniquement d'établissements élémentaires où l'on apprend à lire et à écrire et où le programme se réduit à l'étude du Coran.
Quelle est la situation des femmes, en ce moment, à Kaboul ? Est-ce qu'elles peuvent sortir, se dévoiler, aller au marché ?
Sahar Saba. Pour l'instant, elles ont peur des soldats et n'osent pas trop sortir. Rares sont celles qui se dévoilent, car elles craignent d'être insultées, ou battues. Et c'est la même chose dans les villes que l'on dit " libérées ".
Quelles sont vos attentes, aujourd'hui ? Qu'est-ce qui est prioritaire ?
Sahar Saba. Ce que nous voulons plus que tout, c'est la fin de la guerre et la fin du fondamentalisme. Malheureusement, ce n'est pas ceux qui viennent de prendre le pouvoir à Kaboul qui peuvent nous libérer de l'un ni de l'autre. Il ne faut pas, sous prétexte que les taliban sont partis, ce dont nous nous réjouissons, oublier que leurs vainqueurs partagent la même idéologie et les mêmes méthodes brutales.
Ce qu'il faut absolument maintenant, et le plus vite possible si on veut éviter une autre catastrophe, c'est que l'ONU envoie une force de maintien de la paix et que la communauté internationale prenne les choses en main pour ne pas laisser le pays aux mains de ces gens-là. Le mieux, à notre avis, serait le retour provisoire de l'ancien roi en attendant une solution vraiment démocratique qui donne aux femmes et à tout le pays la chance de connaître enfin le goût de la liberté.
Entretien réalisé par
Françoise Germain-Robin